ALFI, loger et accompagner pour un parcours résidentiel réussi

Flash initiatives locales
N°219
juin 2023
Le Flash est un journal mensuel, dans lequel vous pouvez retrouver les initiatives locales, sociales et innovantes,
menées par l’ALFI, les ESH et sociétés coopératives HLM du Groupe Arcade-VYV.
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AIGUILLON CONSTRUCTION

Amélie Lemaitre / Service communication


Bamba, [ange]-gardien de la propreté

Portrait de locataire


Bamba Pouegnan a emménagé, avec son épouse, dans la résidence Majalis à Nantes (44) en 2012. Et depuis son arrivée, il ramasse chaque jour les déchets abandonnés autour de sa résidence. Âgé de 80 ans, il a toujours veillé à la propreté des abords, sans relâche. Son investissement et sa persévérance ont d’ailleurs été récompensés lors des Rencontres du FIL organisées par Aiguillon le 19 avril dernier.

Bamba, pouvez-vous nous raconter votre parcours ?

Je suis né le 1er janvier 1943 à Soaékpé en Côte d’Ivoire, mais j’ai grandi à 600 kilomètres de là, à Abidjan. Notre habitation surplombait la lagune. On pouvait observer les voiliers. À cette époque, nous étions une colonie française*. Nous avons appris à aimer la France. Mon père était postier. Ma maman, femme au foyer. J’ai démarré ma scolarité au camp des Gardes, où l’on nous enseignait le français. Mon père a ensuite été muté à Bingerville [Ville qui doit son nom au gouverneur français Louis- Gustave Binger]. Il nous a alors, moi et ma grande sœur, inscrit au « foyer des métis ». Nous avons compris bien plus tard que ce foyer abritait les enfants issus de relations illégitimes, extraconjugales ou forcées entre colons et Africaines. À l’âge de 12 ans, mon père m’a envoyé à Daloa, chez mon grand frère, instituteur. C’était l’ainé de la famille, le fils de la première femme de mon père. Notre écart d’âge a fait de lui mon 2ème père. J’avais pris du retard dans ma scolarité car j’avais pas mal fait l’école buissonnière (rires).
Je me souviendrais toujours de la phrase avec laquelle il m’a accueilli : Si tu ne travailles pas, on va te « chicoter » ! J’ai alors pris mes études au sérieux, je suis même, par la suite devenu le premier de la classe. L’année suivante, mon grand frère a été muté à Gagnoa. Je l’ai suivi. En CM2, mon frère a pris la direction de l’école à Soaékpé, retour aux sources ! En 1965, j’ai obtenu le brevet élémentaire de capacité de l’enseignement primaire et je suis devenu enseignant, comme ma grande sœur.

*La Côte d'Ivoire était une colonie de l'Empire colonial français qui a existé de 1893 à 1960, date à laquelle elle a pris son indépendance pour former la république de Côte d'Ivoire.

L’enseignement, c’était une vocation chez vous ?

Nous avons le don de l’enseignement dans la famille. J’ai formé mes élèves grâce à mes propres méthodes pédagogiques. Je répartissais les enfants par groupe de niveau et les meilleurs devaient enseigner à leurs camarades. Je les nommais alors « professeur ». Quand un élève avait compris la leçon, il devenait à son tour « professeur », et ainsi de suite, jusqu’au dernier élève. Mes élèves ont réussi, certains sont même devenus ministres ! Je suis ensuite devenu directeur de l’école, puis mon beau-frère m’a supplié de venir à Goenié, dans leur village, pour développer l’école et apporter mon savoir-faire. Dans ce petit village, j’étais un des seuls à posséder un véhicule. C’est donc moi qui emmenais à l’hôpital toutes les femmes qui s’apprêtaient à accoucher. Lorsque cela arrivait et que je devais m’absenter, c’est ma femme qui me remplaçait en classe, elle s’en sortait bien. J’ai passé 6 bonnes années dans ce village. J’ai été récompensé et ai reçu une bourse pour intégrer l’école normale supérieure d’Abidjan afin de devenir formateur. Après 3 années d’étude, j’ai obtenu l’examen, l’équivalent de la licence, au CAFOP (Centre d’Animation et de Formation Pédagogique) à Man. J’ai formé beaucoup d’enseignants et je suis devenu directeur régional adjoint à la formation pédagogique. J’étais l’adjoint… de mon frère ! À son départ, je suis passé directeur et j’ai terminé ma carrière en 1998, à l’âge de 55 ans, âge légal du départ en retraite en Côte d’Ivoire, juste après avoir reçu, par le ministre lui-même, la médaille de Chevalier de l’ordre de l’éducation nationale de Côte d’Ivoire (cf. photo ci-dessous).

Votre retraite s’annonçait douce. Que s’est-il passé ?

La crise politico-militaire en Côte d'Ivoire commence en 2002, lorsque des soldats rebelles ont pris le contrôle de certaines villes. Ils ont récupéré ma maison, ma ferme et tous les logements que j’avais en location. J’ai tout perdu. Ma fille qui habitait à Nantes à cette époque nous a envoyé des billets pour la rejoindre et nous mettre à l’abri. C’était la première fois que je quittais le pays. J’ai fait une demande d’asile que j’ai mis 3 ans à obtenir. 3 années très difficiles où il a fallu se battre ! J’ai échangé de nombreux courriers avec Jean-Marc Ayrault et François Fillon. J’ai été membre du conseil consultatif à la mairie de Saint-Herblain. En parallèle, je donnais des cours de français dans une association à Nantes. Le maire a écrit une lettre pour témoigner de mon intégration et c’est grâce à lui que nous avons obtenu un titre de séjour permanent.

Qu’est-ce qui vous pousse, depuis 2012, à mener ce combat pour maintenir votre résidence propre ?

Nous pouvions constater beaucoup de déchets sauvages aux abords de la résidence, un décor contradictoire avec le joli nom de la place : le Muguet Nantais. Voici comment je me suis transformé en éboueur volontaire.
Comme je le dis : « La propreté est le début de la dignité ».

Vous êtes venu aux Rencontres du FIL accompagné de votre accordéon. La musique est une de vos passions ?

Je joue de l’accordéon depuis 1966. Personne ne me l’a appris, c’est un don du ciel. Les enfants du quartier me surnomment « Papi musique ».